La Mort
Inspiration : “Dark reaper”, par Irina Nordsol Kuzmina
La Mort a pris de nombreuses formes à travers les âges et les civilisations. Je pense qu’elle prend l’apparence qu’on lui voit. Certains n’y croient pas, non pas à la cessation de l’existence, mais au principe d’une entité qui arracherait la vie et l’esprit des gens. Pour ces gens-là, mourir, c’est tout simplement s’éteindre. Ne plus penser à rien, perdre tout sens comme un, disparaître. Cette perspective m’effraie. Quoique la mort soit, j’espère qu’elle est aussi. Qu’après elle il n’y ait pas rien. Être spectateur intangible, ou hêtre spectateur réincarné - reboisé plutôt -, vaut mieux qu’un néant effrayant.
Erron le penseur m’a dit qu’il ne fallait pas être terrifié par cette perspective. Que, libéré de ses entraves à la fois physiques et spirituelles, lorsque la pensée s’envole et se délite, l’esprit atteint la félicité. Que le bonheur est dans le non-être. Si la vie n’est que malheur, alors l’équilibre des choses fera que la mort s’opposera à ce malheur. Erron était de ceux qui ne croyaient pas en la Mort. Je ne sais pas, encore aujourd’hui, si son esprit hante ces terres, ou s’il a trouvé la félicité dont il parlait dans le néant.
Ces propos m’ont fait songer, mais je crois toujours fermement en la Mort. Elle existe, car j’y crois, et que ma seule pensée lui accorde l’existence. Je pensais la rencontrer vieux, paisiblement endormi dans une cabane ou un palais. Je l’imaginais en douce figure lumineuse, une angélique figure venant détacher mon contenu de son enveloppe.
Je n’ai pas pansé cette conception douteuse de la fin, ultimement, de toute vie. Pas plus que je n’ai pensé ces blessures, conséquences funestes d’une trahison muette. L’empire n’a pas besoin de réprimer toutes les révoltes lui-même. La discorde est une arme aussi efficace qu’une lame. Trois coups de poignard dans le dos, et autant dans mon cœur. Aucun mot ne fut prononcé. Mes doutes macabres étaient oubliés, la mort une compagne de chaque instant dans mon combat. Je me suis vu maintes fois mourir, éclatant, à l’issue d’une âpre bataille, mon sacrifice arrachant la victoire.
Le son mat de mon corps s’écroulant au sol, il n’y a eu que ça. Ils ne m’avaient pas tranché la gorge, j’aurais pu crier. Mais je n’en ai pas eu la force. Il s’en va maintenant, ses pas étouffés par la pierre sèche. Je n’entends plus ma propre respiration. Je ne respire peut-être déjà plus. Ma vision se brouille.
Je rouvre les yeux dans une forêt aux arbres morts. C’est donc ainsi que j’imaginais ma mort ? Il est si grand qu’il masque presque la lune, qui forme autour de sa tête comme une auréole. Un ange de la mort qui s’avance vers moi, faux à la main. Un frisson me parcourt, et je me relève. Voici donc ma dernière épreuve. Si cet ultime adversaire est la mort, et ce monde immaculé et vide dans son sillage le sort qu’il me destine, alors je dois l’affronter de face, fier de moi et de mon vécu, de ce que j’ai accompli pendant ces trente quatre courtes années.