Les Saigneurs
Inspiration : “Bird People” par Stefan Koidl
Les Saigneurs les avaient tous pris. De l’hypnose, un virus dans l’air, ou une autre saloperie. Certains, comme moi, sont immunisés. Au début, n a pas compris quand on a vu des millions de crétins se jeter dans la gueule des monstres. Et le temps qu’on se ressaisisse, on était seul. Léa et Émilie ont tenté de m’entraîner, mais je me suis dégagé, par réflexe. Maintenant, je me dis que j’aurais mieux fait de les suivre, d’en finir au plus vite.
Mais je suis resté là, muet, comme un con. J’étais pas le seul à rien comprendre, à préférer fuir plutôt que de me suicider. Je me suis demandé ce qui allait pas avec moi, si j’étais fou de voir des géants nécrosés. Simon m’a sauvé, si on peut dire. On se connaissait pas, mais lui et moi étions les seuls gus lucides de la foule. On aurait peut-être pu faire quelque chose, mais on a juste regardé. Regardé les poignées d’humains se faire prendre et avaler sans réagir, zombifiés presque.
Je ne me souviens plus trop de ce qu’il s’est passé ensuite. L’un d’entre eux a dû nous remarquer, parce qu’on a détalé comme des lapins sous le joug d’un fusil. On a prit quelques affaires chez moi, puis on a erré dans la ville déserte, des esprits perdus dans la capitale fantôme. En chemin vers notre but indéfini, on en a croisé d’autres. A la fois des lucides et des saigneurs. On est six maintenant, et Suzanne a une familiale. On est parti dans le désert, il y a une base militaire pas trop loin, Luis y a travaillé un temps. Il va nous falloir de l’artillerie lourde pour éliminer ces salauds.
Je suis le troisième à prendre le volant. Au bout de vingt minutes de conduite, une sale migraine me prend. La route et droite et peu de chance de croiser une autre voiture, alors je continue. Une heure passe, et j’ai oublié ce que je fais là. Qu’est-ce qui m’a fait quitter la ville avec ces inconnus ? Je connais à peine leur nom, c’est peut-être des criminels en cavale.
Oh merde. Je me souviens. Les Saigneurs. Il y en a trois devant, sur la route. Ils regardent la voiture s’approcher, comme des vaches scruteraient un train. Finalement ils n’ont pas l’air si terrifiant. Ils sont même pas mal attirants. Le plus proche m’appelle, j’ai l’impression. Je zyeute les autres, ils dorment tous les cinq.
J’arrête la voiture et sors. Il est beau, ce seigneur. Ma femme et ma fille sont sur ses épaules, elles me sourient, me font signe de m’approcher. Je ne marche pas, je cours. J’ai hâte de les retrouver. Ça ne fait que quelques heures, mais on aurait dit des jours ! Lorsque j’arrive à sa hauteur, le seigneur me prend délicatement dans sa main pour me mettre au niveau de ma famille. J’entends un klaxon dans le lointain, mais ça ne compte plus maintenant. Nous serons bientôt réunis.